Balade équestre.

Eglantine n'en revenait pas. Elle avait enfin eu l'autorisation de sortir Cajun de l'écurie, seule! Après l'avoir brossé, bouchonné, harnaché, sellé, enfilé ses bottes préférées et attaché sa bombe sous son menton, elle peut enfin monter dessus et le diriger vers la porte de sortie. Cajun semblait trépigner quand ils franchirent l'arche aux immenses grilles qui délimite le terrain du Haras de la Tocade.

Eglantine, rayonnante, prend très vite la direction du Bois de Marivaud dont elle connaît les sentiers par coeur pour les avoir arpentés lors de sorties de groupe. Elle est terriblement excitée et fière, ce que Cajun ressent forcément car elle doit le freiner régulièrement pour le maintenir au pas. Une fois sous les frondaisons, sur un chemin large, elle le met au trot et laisse échapper un soupir d'aise.

Elle se tient droite, heureuse sur le cheval dont la robe couleur de l'ambre prend les rayons du soleil. L'odeur du bois, sa fraîcheur et la lumière vibrante, presque vivante, lui procurent un immense sentiment de paix intérieure. Peu consciente du fait que les promeneurs s'écartent de son chemin pour les regarder passer, Cajun et elle, un sourire lui fend le visage. Elle laisse les rênes lâches pour que Cajun la mène où bon lui semble. Après tout, pour lui aussi c'est la première sortie en solitaire. Sans qu'Eglantine n'y prenne garde, Cajun se laisse attirer par l'odeur d'herbe fraîche d'un sentier et ils se retrouvent tous deux dans un coin plus sauvage de bois. Il y a beaucoup moins de marcheurs, moins de rayons de soleil descendant d'entre les branchages. Un parfum de fleurs devient très pésent. Eglantine, ébahie, voit devant elle s'ouvrir une clairière couverte de fleurs mauves dansant doucement dans la brise. Elle arrête Cajun et met pied à terre. C'est féérique, pense-t-elle en cueillant une fleur pour la coincer dans les sangles de cuir du licol de Cajun. Elle lui flatte le flanc en écarquillant les yeux. Quel bonheur. Elle connaît cette clairière, bien sûr, mais elle n'avait jamais, jusqu'à aujourd'hui, vu ces fleurs. A pied, tenant son cheval, elle avance dans la clairière, regarde le ciel bleu dans l'espace laissé libre par les arbres et leurs feuilles. Elle entend le pas de son cheval produire un bruit amorti sur le sol meuble et les oiseauc pépier autour d'eux. Sans doute depuis les branches des feuillus qui se dressent autour de la clairière. Cajun broute ici et là un brin d'herbe fraîche au passage, pendant que sa maitresse bée aux corneilles. Le cri rauque d'une pie la surprend et elle remonte en selle pour faire avancer son cheval au pas, ils laissent derrière eux cette trouée magnifique pour rejoindre un sentier balisé qui les ramène au chemin principal. Pour une première promenade seulement à deux, c'était une joie d'avoir pu admirer ce spectacle. Le retour, beaucoup moins gai, se fait au pas pour tenter de ralentir le temps et rester encore un peu dans le bois.

Eglantine et sa monture rentrent lentement, passent les grandes grilles et s'approchent de l'écurie. Cajun fait très attention, il sent que l'adorable jeune fille qu'il porte est ailleurs et ne le guide pas vraiment, mais il connaît les lieux et s'arrète de lui-même devant son box. Eglantine, dans sa rêverie, met plusieurs minutes à descendre de son nuage... Et de son cheval. Dans son coeur, l'image de la clairière en fleurs a éveillé des envies romantiques de balades équestres avec Bastien, le garçon bland qui s'occupe de Nuit, la jument à la robe noire qui est arrivée au Haras de la Tocade il y a six mois.