Promenade de nuit.

Cette nuit encore, je regarde ce paysage qui éveille les rêves de tant de gens. Je suis, disent-ils, privilégiée de vivre au bord de ce lac. Ils rêvent de cette vie et pensent que c'est une vie de rêve. Qui me croirait si je leur disais mon cauchemar? Qui oserait compatir si je racontais mon histoire?

Mes souvenirs reviennent souvent me hanter par les chaudes nuits d'été. Un soir, il y a plusieurs années, j'ai vu deux personnes s'enfoncer dans les eaux calmes. Ils avançaient comme si l'eau n'existait pas, ils avançaient et n'hésitaient pas. Un homme, la main tenant celle d'un enfant, a disparu dans les flots. L'image est gravée dans ma mémoire. J'ai attendu, à ma fenêtre, de les voir revenir. J'attends encore, le coeur serré par l'angoisse. J'ai prévenu les autorités dés le matin, que j'avais vu partir un homme et un bambin. Ils ont fait le tour du lac, ont cherché pendant des heures. Ils n'ont pas osé me dire qu'ils me pensaient folle quand ils n'ont rien trouvé. Ce lac n'a pas d'issue assez grande pour qu'un corps y passe et pourtant, les policiers n'ont rien trouvé sur les rives. Pas même les traces du passage de l'homme et l'enfant. Ils me croient folle à présent. Ils pensent tous que j'ai inventé cette disparition, ou que je l'ai rêvée. Tout le monde vient au bord du lac pour profiter du calme et du chant des oiseaux, moi qui vit sur la berge, je ferme fenêtre et volets pour ne pas entendre l'eau qui les a avalés. Chaque nuit claire, je descends, je m'approche des vaguelettes et tends l'oreille, le coeur battant. Rien.

Depuis 8 ans, rien.

J'ai peur, tellement peur de l'eau et de ses secrets. Je n'ose pas déménager car s'ils revenaient, qui les verrait? Je vis en suspens, je m'accroche à des lambeaux de raison qui s'étiolent et s'envolent comme des feuilles dans le vent. Je me réveille en sueur, me reprochant d'avoir tout fermé car il me faut du temps pour ouvrir les volets et scruter l'eau sombre dans l'espoir fou qu'ils reviennent par une nuit aussi claire que celle de leur départ. J'ai attendu, à ma fenêtre, de les voir revenir.

Plus rien à présent ne me retiens. J'ai choisi mon destin et demain, la nuit sera claire, je descendrai et j'avancerai comme si l'eau n'existait pas, j'avancerai et je n'hésiterai pas.